07 août 2005

Un baroudeur philosophe

Itw d'Alain SORAL

Marc Alpozzo : Alain Soral, depuis Jusqu’où va-t-on descendre, vos livres caracolent en têtes des ventes, parfois même devant les livres de BHL, alors qu’ils ne bénéficient d’aucun soutient des médias : comment expliquez-vous ce phénomène ? Et comment expliquer vous ce cruel silence médiatique autour de votre action intellectuelle et littéraire ?

Alain Soral : Que mes livres se vendent, un peu - je ne fais pas non plus les scores d’un Weber ou d’un Coello ! - malgré le boycott de plus en plus sévère des médias, est plutôt rassurant. Cela prouve en effet :
Un. Que le matraquage télévisuel et le décervelage en douce des magazines d’opinion ne parviennent pas à annihiler complètement la demande de sens, et le bon sens de la population.
Deux. Que se maintient donc toujours, à travers les âges, une part irréductible d’honnêteté et d’intelligence, qu’on soit dans l’URSS de Brejnev, l’Amérique de Bush ou la France de Sarkozy !
Quant à expliquer ce "cruel silence médiatique", il suffit de lire, ou de relire, l’excellent "Les nouveaux chiens de garde" de Serge Halimi pour comprendre ce qui attend logiquement toute personne qui ose produire une critique appuyée, et cohérente, du pouvoir et de son idéologie.

M.A. : Vous le reconnaissez vous-même, vos prises de position courageuses à propos de problèmes politiques et sociaux "sensibles" vous attirent beaucoup d’inimitiés parmi les puissants : depuis le piège que des journalistes de Complément d’enquête vous ont tendu, vous êtes même de plus en plus isolé : qu’est-ce qui vous motive à continuer ? Ne ressentez-vous jamais l’envie de jeter l’éponge ? Vous ne vous êtes jamais dit : "à quoi bon ?"

A.S. : Je suis de plus en plus isolé... dans les médias. Pas dans la rue ni dans le cœur des honnêtes gens, je vous l’assure ! Ce qui me pousse à continuer ? Disons que c’est plus fort que moi ! Bien sûr, il m’arrive parfois de vouloir tout arrêter, changer de vie, aller vers l’harmonie et la douceur d’une île idéale introuvable comme la Tahiti de Gauguin... Mais aussitôt planqué dans le calme illusoire de l’"à quoi bon ?", de la consommation, de l’alcool... la souffrance de la lutte, de l’injustice et de l’incompréhension laisse place à la souffrance bien pire encore de la honte du lâche, la dépression.

M.A. : Vous le dîtes vous-même, vous n’êtes pas un sociologue monomaniaque qui s’évertuerait à n’analyser que les communautarismes. Vous les analysez tout de même beaucoup dans vos livres, notamment Socrate à St Tropez et dans votre dernier Misères du désir. Vous ne voyez pas l’esprit communautariste d’un très bon œil, n’est-ce pas ? Pourquoi ?

A.S. : J’ai calculé que ma critique des communautarismes constituait un sixième de mon travail. Cinq textes que je publie sur six sont donc sur d’autres sujets. Mais les communautaires qui sont, eux, à coup sûr monomaniaques, puisque leur appartenance communautaire prime sur toute autre détermination, ne retiennent jamais que cet un-sixième là. Quel appauvrissement de l’esprit ! Et sans même parler d’esprit, il faut être particulièrement obtus, ou malhonnête, pour ne pas voir à quel point le communautarisme - même s’il fournit à court terme un sentiment de solidarité et de sécurité - mine le "vivre ensemble" dans une société démocratique fondée sur l’égalité et la mobilité. Non seulement vous vous retrouvez vite l’otage des extrémistes de votre communauté - qui d’expérience en sont toujours les plus médiocres représentants -, mais vous voyez en plus se fermer les portes des autres communautés, qui vous traitent à leur tour par le mépris ou le soupçon.

M.A. : Puisqu’on parle des communautés, l’un des problèmes animant notre politique française aujourd’hui, c’est le "mariage gay", vous dîtes de ce problème que c’est un problème très secondaire. Alors comment expliquez-vous que cela fasse autant de bruit en France et dans la presse ?

A.S. : Ca fait surtout du bruit dans la presse ; presse dont le rôle idéologique et d’amplifier les problèmes sociaux secondaires - dit "sociétaux" - pour cacher qu’elle traite de moins en moins des problèmes sociaux plus cruciaux tels l’orientation de gestion et les enjeux de politique étrangère... Que deux trous du cul sponsorisés désirent imiter un bon couple de beaufs hétéros on louant des queues de pies pour passer devant monsieur le maire, qu’est-ce que le salarié français moyen en a à foutre ?

M.A. : Toujours lié à cette question du "mariage gay", on a vu récemment le maire vert Noël Mamère marier un couple homosexuel en vertu d’un principe qui nous vient du philosophe américain Henry David Thoreau : "la désobéissance civile". Quelle est votre opinion à propos de ce grand principe, au nom duquel Mamère, Bové, et d’autres alter-mondialistes agissent, en défiant les lois de la République ?

A.S. : D’abord - lapsus révélateur - il s’agit chez Thoreau de désobéissance CIVIQUE ! la désobéissance civile, c’est le truc d’Isabelle Alonso, un truc de bonne femme en tailleur ! La désobéissance civique nous ramène, elle, au principe même de la démocratie américaine des pères fondateurs, démocratie dont Jean-Claude Michéa a bien rappelé qu’elle est, au meilleur sens du terme - celui de Rousseau - un populisme. Son message est simple : la loi, en régime démocratique, n’a aucun caractère transcendant, elle est choisie par les hommes pour les hommes. Et quand la loi trahit les hommes, qu’elle ne représente plus l’intérêt général mais les intérêts en douce d’une minorité contre l’intérêt général, on a alors le devoir CIVIQUE de lui désobéir ! En l’occurrence, le mariage gay c’est plutôt les intérêts d’une minorité qui essaie d’imposer en douce ses vues à la majorité... On est donc assez loin du sujet, ce qui est moins le cas des OGM !

M.A. : Pour en finir avec le communautarisme, quels sont vos positions à propos de la question du port du voile en France ? Vous avez récemment déclaré sur www.oumma.com : "Je préfère le voile au string". Ne pensez-vous pas que ce type de petite phrase provocatrice ne soit mal perçue par les mouvements féministes ? Quelle est exactement votre position par rapport à cette idée ?

A.S. : J’ignorais que le string était un étendard du féminisme, je pensais que le féminisme, au contraire, commençait par le respect du corps de la femme ! Je ne vois donc pas du tout en quoi "je préfère le voile au string" peut être une provocation. Provocation de qui ? de quoi ? Préférer le voile au string c’est d’abord, sur le plan vestimentaire, le choix du moindre mauvais goût. Le foulard est un vêtement "doux" et universel (les femmes se couvrent les cheveux dans de nombreuses civilisations : juive, chrétienne, musulmane, hindouiste...), le string, lui, est un objet vulgaire, malsain (déjà sur le plan de l’hygiène) et bien plus ostentatoire. Comme symbole civilisationnel, je le trouve bien plus régressif que le voile ! Maintenant, ma position par rapport au voile - symbole de l’implantation en France de l’Islam -, puisque c’est de ça qu’il s’agit, j’eus préféré à vrai dire qu’il n’exista pas ! Mais pour ça, il aurait fallu ne pas organiser le "regroupement familial", ni les banlieues ghettos. Maintenant c’est trop tard, et je pense qu’on ne réglera pas le problème du voile en provocant et en humiliant. Quand on persécute les gens dans leur foi, on renforce leur foi. Les juifs en savent pourtant quelque chose !... Alors pourquoi être soudain si maladroit avec les musulmans ? Quant à monter sur les grands chevaux de Jaurès au nom de la République et de la laïcité, les ex-soixante-huitards qui jouent à ce petit jeu là, eux qui ont craché à la face de Chevènement ! Ils me font doucement rigoler !

M.A. Croyez-vous que l’immense succès d’un Jamel, la nouvelle médiatisation des rappeurs "beurs", la popularité enregistrée par Zidane suffisent a assurer définitivement l’intégration de la jeunesse maghrébine dans notre pays ? Si l’on en croit votre dernier ouvrage Misères du désir, le problème serait bien plus compliqué que cela.

A.S. : Certes. C’est pourquoi l’expliquer m’a pris trois livres, les trois derniers, que je vous invite à relire !

M.A. : Nous sommes en 2005, entre autres problèmes politiques que devra résoudre, ou tenter de résoudre, notre gouvernement actuel, il y a celui des 35 heures. Pour ou contre les 35 heures, Alain Soral ?

A.S : Les 35 heures correspondent à une conception malthusienne du partage typiquement PS. Comme on n’a pas le courage politique de toucher au Marché libre et mondialisé, destructeur d’emplois, on se donne l’illusion du socialisme en partageant le travail qui reste par une réglementation de type soviétique ! Résultat des courses : les 35 heures favorisent les grandes entreprises les plus délocalisantes et les cadres les mieux payés, au détriment des PME, des artisans et des bas salaires ; sans créer un seul emploi ! Bonjour la mesure de gauche ! Non, je crois sincèrement que le seul intérêt des 35 heures, c’est de nous avoir débarrassé un moment de Martine Aubry !

M.A. : Vous avez commencé votre carrière d’écrivain il y a 20 ans maintenant, avec un ouvrage intitulé Les mouvements de mode expliqués aux parents : qu’est-ce qui selon vous a radicalement changé dans nos tenues vestimentaires depuis ?

A.S. : Pour avoir la réponse, il vous suffit de regarder la rue !
Pour donner un sens à votre question, ce qui a changé par rapport à il y a 20 ans, c’est qu’à l’époque la branchitude était encore un marché parallèle, une marginalité... alors qu’aujourd’hui le branché est au cœur du marché, il n’en est plus la marge, il en est le moteur. C’est toute la différence entre moi et Ariel Wisman, vous comprenez ?

M.A. : Dans Jusqu’où va-t-on descendre ? vous analysez, pour reprendre le sous-titre même de l’ouvrage, "la bêtise ambiante", et dieu sait qu’elle paraît grande sous votre plume. Ne pensez-vous pas qu’avec la régression actuelle, par exemple la quantité croissante de publication d’ouvrages "psy-cul", de "télé-réalité" qui inondent de plus en plus nos chaînes télé et notre paysage culturel, que ce net recul de l’intelligence ne nous ramène vers l’obscurantisme que notre époque médiévale aurait connue ? Pensez-vous que tout cela puisse continuer longtemps ?

A.S. : Dans mes deux abécédaires, j’ai analysé systématiquement ce processus de recul de l’intelligence (par rapport à une période "progressiste" qui commence effectivement dés la fin de l’époque médiévale), afin de démontrer que ce processus constitue le programme - très intelligent - de la social-démocratie de marché planétaire. Programme dont le but est de renforcer le côté "consommateur" de l’individu, fatalement au détriment de son côté "citoyen". Ce processus durera, sans doute, tant que les avantages qu’en tire le Marché seront supérieurs aux inconvénients produits sur lui par les effets pervers de cette "démoralisation" ; effets pervers parmi lesquels il faut déjà compter, selon moi, un certain retour à l’obscurantisme religieux et communautaire... À moins bien sûr qu’il y ait rupture, de type révolution...

M.A. : Dans la même idée, les Coluche, Desproges, Gainsbourg, bref toutes les grandes gueules, quelque peu subversives, d’une époque qui est aujourd’hui bien révolue, sont mortes, et à la place, il semble à présent que personne n’ose déroger, sur les plateaux de télé, dans la presse, dans l’édition, aux règles du politiquement correct, enfreindre publiquement la règle de la langue de bois qui va jusqu’à absorber les nouveaux "empêcheur de tourner en rond", c’est-à-dire à les récupérer et les insérer au système mis en place ? Etes-vous d’accord avec l’idée que je développe ? Est-ce que cela vous inspire quelque chose, ou vous laisse indifférent ?

A.S. : Ce que ça m’inspire ? D’abord la qualité des personnes que vous citez n’était pas spécialement d’être subversives, mais d’avoir de la personnalité et du talent. Or, à l’heure du triomphe de l’idéologie de la "différence", c’est fou ce que les personnages d’un peu d’envergure sont devenus rares ! C’est plutôt le règne du petit salarié percingué qui confond mauvaise éducation standard et originalité, originalité et richesse intérieur ! Deuxièmement, sur l’idée du système qui récupère... Je crois qu’on ne récupère bien que ce qui est récupérable. Daniel Cohn-Bendit, c’était déjà récupérable en avril 68, tandis qu’on a toujours autant de mal à récupérer, aujourd’hui, Genet et Pasolini ! Ce qui ne me laisse pas indifférent, c’est que tant de cons, soit disant instruits, aient toujours autant de mal à faire la différence entre la subversion d’un Genet, d’un Pasolini et celle d’un Cohn-Bendit ou d’un Sartre... sans parler du talent...

M.A. : Parleriez-vous de notre époque comme d’une "dictature molle", pour reprendre les mots de Tocqueville à propos de la démocratie ?

A.S. : Oui, dictature mole dans la mesure ou l’omerta médiatique, une certaine persécution économique, ça fait quand même moins mal que le goulag ou les camps ! Quant à la démocratie, c’est une belle idée, mais qui n’est pas tout à fait synonyme de la démocratie de marché dans laquelle nous vivons, et où la liberté, avant tout réservée à la circulation des capitaux et des marchandises dans le but de maximiser les profits, conduit à une certaine dictature du Marché, au détriment des hommes, dans leur immense majorité.

M.A. : Vous-même, ne craigniez-vous pas d’être un jour récupéré ?

A.S. : C’est bien sur mon plus grand souhait, puisque ce jour là je serai enfin riche et réconcilié avec le pouvoir, ce qui est au moins la promesse d’une vieillesse confortable ! Mais j’ai bien peur q’un mécanisme en moi, qui me dépasse, me fasse encore rater le coche ! Voyez, j’étais le premier, dans "Jusqu’où va-t-on descendre ?", à oser tancer les maghrébins de France. Si j’avais continué dans cette voie, je serais aujourd’hui le chouchou des médias (quand on voit la place faite à bien plus louche et bien plus médiocre, les Moussaoui... les Fourest...). Mais il a fallu - c’est plus fort que moi -, que je continue bêtement ma critique des communautarismes en appliquant la même grille critique aux juifs de France. Et là, patatras... ! Que voulez-vous, je ne sais pas comment fait un type comme Philippe Muray - sur le plan de la probité intellectuelle s’entend - pour critiquer si finement les communautarismes et omettre systématiquement d’évoquer celui-là... Malgré tout son talent de plume, je crains fort que la postérité ne le sanctionne pour ce manquement... Le style sans couilles vieillit fanfreluche...

M.A. Que pensez-vous de l’Internet aujourd’hui, des communautés virtuelles, et des webzines dont l’un des objectifs est de trancher avec la "pensée unique" ?

A.S. : C’est un peu Radio Londres... beaucoup de liberté, de quantité, au détriment souvent de la qualité, mais en triant, on trouve tout ce qu’on veut. En plus ça ne coûte pas cher et c’est difficile à fliquer... Voilà l’ironie de l’Histoire à l’œuvre, qui se moque du travail de sape des puissants. Et le temps que les Dassault, Lagardère et autres Rothschild trouvent la parade, la vie aura inventé du nouveau !

M.A. : Puis-je vous demander de quoi traitera votre prochain ouvrage ?

A.S. : Un roman comique, pour éviter les emmerdes... Avec mes 4 derniers livres et ma sortie à Complément d’enquête, des emmerdes j’en ai déjà mis de côté pour 30 ans !

M.A. : Votre dernier mot pour clore cet interview par mail ?

A.S. : Je souhaite qu’elle circule le plus possible sur la toile et qu’elle me fasse vendre des livres, afin que les Ardisson et consorts sachent bien que grâce aux milliers de résistants de l’ombre, je peux moi aussi survivre, comme le courageux Dieudonné, à leur fatwas et leur trahisons !

Les Ogres

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