23 juin 2007

Le calvaire indien des tortues de mer

Pourtant protégé par plusieurs lois, le reptile marin est victime des pêcheurs locaux.

Par Pierre PRAKASH

Chaque année, des milliers de tortues de mer meurent au large de la côte est de l’Inde, victimes des filets de pêches dans des zones pourtant interdites aux pêcheurs. Un scénario qui, malgré les protestations des écolo­gistes, se répète à l’identique depuis plus de dix ans, alors qu’il s’agit d’une espèce archiprotégée, tant en Inde que dans le reste du monde. Parmi les régions les plus pauvres du pays, la côte de l’Orissa est le lieu le plus fréquenté de la planète par les tortues olivâtres (Lepidochelys Olivacea), attirant chaque année, entre octobre et mai, plus de la moitié de la po pu­lation mondiale. Pour des raisons que les scientifiques ignorent, les femelles reviennent en effet toujours pondre sur les plages de leur naissance, après avoir parcouru des milliers de kilomètres en mer. Un phénomène baptisé du mot espagnol «arribada» («arrivée»), car on ne le retrouve qu’au Costa Rica et au Mexique, à plus petite échelle.

Avant de sortir pour pondre, les tortues se regroupent au large pour s’accoupler dans des «zones de congrégations» qui rassemblent des dizaines, voire des centaines de milliers d’individus. «C’est là que les filets font des ravages, explique Biswajit Mohanty, cofondateur de «Opération Kachhapa», une campagne lancée en 1998 pour tenter de sauver l’espèce. «Les tortues se prennent dedans et meurent noyées, car elles ne peuvent plus remonter à la surface pour respirer.»

D’après les écologistes, plus de 100 000 tortues adultes sont ainsi mortes ces dix dernières années. Un taux de mortalité d’autant plus inquiétant que, d’après les estimations, seul un petit sur mille atteint l’âge adulte. Afin de protéger l’espèce, le gouvernement de l’Orissa impose des restrictions aux pêcheurs depuis de nombreuses années. Etalée sur près de 1 500 km2, le sanctuaire marin de Gahirmata leur est ainsi interdit, tandis que la pêche est restreinte dans un rayon de 20 kilomètres autour des zones de congrégation pendant six mois de l’année. Depuis 1997, tous les chalutiers doivent également équiper leurs filets de «dispositifs d’exclusion des tortues marines» , des engins qui permettent aux animaux de se libérer lorsqu’ils sont pris. Ces lois n’existent cependant que sur le papier. Motif : les autorités locales ne disposent pas de bateaux assez rapides pour prendre en chasse les chalutiers… «C’est aberrant, le dé partement de la pêche et celui des forêts [chargé de la faune, y compris marine, ndlr] ont reçu près de 200 000 euros chacun pour préserver les tortues olivâtres, mais ils n’ont même pas été fichus d’acheter un bateau», s’insurge Biswajit Mohanty. Et ce, bien que la Cour suprême s’en soit mêlée. Après une visite de terrain, en 2004, la plus haute autorité judiciaire du pays avait en effet formulé une série de recommandations, dont l’achat des fameux bateaux rapides, mais aussi la nécessité de démarquer le sanctuaire marin avec des bouées, de trouver des moyens de compensations pour les pêcheurs affectés, et de former des équipes dédiées à la question des tortues olivâtres, afin de pouvoir patrouiller en permanence. Trois ans plus tard, rien de tout cela n’a été fait. Interrogé l’an dernier par Greenpeace, le directeur de la faune de l’Orissa avait répliqué que démarquer la zone du sanctuaire marin était «trop compliqué» et «trop cher» . Quant aux équipes à plein-temps, impossible, le département des forêts de l’Etat souffre déjà d’un manque d’effectifs de 40 %.

Résultat : les patrouilles ont lieu au mieux toutes les deux semaines, sur des chalutiers loués, et les pêcheurs sont avertis à l’avance. Ceux, rares, qui se font prendre, s’en sortent en payant une amende. Mais personne, à ce jour, ne s’est fait confisquer son bateau ou sa licence. D’autant plus étrange que bon nombre de ces pêcheurs sont des clandestins venus du Bangladesh, ou des ressortissants des Etats voisins du Bengale et de l’Andrah Pradesh, qui n’ont pas le droit de s’approcher à moins de 20 kilomètres des côtes de l’Orissa. Une législation qui vise à préserver les pêcheurs locaux, lesquels sont, dans leur grande majorité, trop pauvres pour se payer des chalutiers à moteur. Pour ne rien arranger, la côte de l’Orissa est en train de s’industrialiser à toute vitesse, menaçant de signer l’arrêt de mort des «arribadas» . Attirés par la lumière des usines, des milliers de bébés tortues, nés sur les plages, se dirigent ainsi chaque année vers la terre plutôt que vers la mer, et meurent écrasés ou dévorés par des chiens. Pire encore, plusieurs plateformes pétrolières ont récemment été érigées au large des côtes, sans que l’on sache si elles se trouvent sur le parcours des tortues puisqu’aucune étude n’a été faite sur la question.

Pour couronner le tout, le géant indien de l’acier Tata Steel s’apprête à construire un port à seulement 12 kilomètres de la plage la plus fréquentée par les tortues. Son concurrent sud-coréen Posco prévoit, lui, d’en aménager un autre dans la même région. L’an dernier, Greenpeace avait tenté de secouer le chef du gouvernement régional de l’Orissa, Naveen Patnaik, en déposant, devant sa résidence de New Delhi, des carapaces et des squelettes de tortues mortes. Une action qui n’avait eu d’autre impact que l’arrestation de trois militants écologistes, accusés d’avoir illégalement transporté les cadavres d’une espèce protégée.

1 commentaire:

Dean Saliba a dit…

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