21 septembre 2007

Blackwater, des chiens de guerre lâchés dans Bagdad

Après la mort de dix civils irakiens, le recours à la société de sécurité est contesté.

Il a fallu qu’éclate le scan­dale Blackwater cette semaine en Irak pour que le grand public américain apprenne que les deux hommes les plus puissants d’Irak, l’ambassadeur Ryan Crocker et le général ­David Petraeus, avaient confié leur sécurité au jour le jour à une société privée plutôt qu’à leur armée. Les Irakiens, eux, connaissent depuis déjà quatre ans ces chiens de guerre aux lunettes noires sillonnant Bagdad dans leurs véhicules blindés, pointant leurs mitrailleuses sur tout ce qui ­bouge et jetant des grenades assourdissantes sur les automobilistes qui ne s’écartent pas assez vite. Le millier de mercenaires de Blackwater en Irak dispose même d’hélicoptères, qu’il leur arrive de faire plonger en piqué pour effrayer les badauds.


Blackwater est l’une des nombreuses sociétés étrangères employant des «PMC» (Private military contractors) - des «Mossad» comme les ap­pellent les Irakiens - dont le nombre est estimé entre 30 000 et 50 000. Au sein de cette armée disparate, qui va du «prolétariat» (Péruviens, Colombiens, Népalais, etc.) au «nec plus ultra» (Américains, Français, Anglais, payés de 500 à 1000 dollars par jour) en passant par les habituels mercenaires d’Afrique du Sud, des Balkans ou d’Europe de l’Est, Blackwater fait figure de ­troupe d’élite. D’ailleurs, la société a été fondée en 1997 par Erik Prince, un ancien des ­Navy Seals, les commandos de marine américains.

Prince est un riche hé­ritier, «born-again christian» comme George W. Bush. Il a effectué un stage à la Maison Blanche lors de la présidence de Bush père (1988-1992). Prince serait un gros donateur du Parti républicain. De là à parler de retour d’ascenseur… Le 11 septembre 2001 et la «guerre contre le terrorisme» ont été une véritable manne pour Blackwater. Dans l’une de ses rares interviews, Gary Jackson, le président, un ancien des forces spéciales lui aussi, expliquait: «Lorsqu’elle fait face à une ­crise, l’administration Bush a tendance à faire d’abord appel à nous.» Le premier gros contrat de Blackwater a consisté à assurer, pour plus de 20 millions de dollars, la protection de Paul Bremer, le premier «proconsul» américain en Irak, à partir de l’été 2003. «Paradoxalement, le recours à ce ­genre de sociétés coûte moins cher que si l’on mobilisait des forces spéciales pour défendre les responsables américains en Irak, explique Eric Micheletti, rédacteur en chef de la revue Raid . La nouveauté, c’est le nombre de ces sous-traitants.» Le Pentagone, sous la houlette de Donald Rumsfeld, ayant volontairement limité à 150000 hommes le contingent américain dépêché en Irak, là où 400 000 auraient été nécessaires, les PMC sont employés à tout et n’importe quoi. En avril 2004, les quatre employés de Blackwater brûlés vifs et pendus à Fallouja - ce qui avait entraîné un assaut de l’armée américaine - transportaient… de la vaisselle.

Autre problème, les PMC agissent hors de tout cadre ­légal, Paul Bremer les ayant soustraits par décret, juste avant son départ, à la loi irakienne. Les dérapages sont fréquents et de nombreuses vidéos d’assassinats gratuits circulent sur You Tube. Black­water n’est ni pire ni meilleur que les autres. «Ils sont les mieux équipés», résume Eric Micheletti. Donc les plus meurtriers.

Depuis 2003, la compagnie a bénéficié de 678 millions de dollars de contrats, peut-être plus, le secret étant la ­règle. Une majorité des contrats ne donne lieu à aucun appel d’offres. Blackwater a embauché à prix d’or d’anciens hauts fonctionnaires: son vice-président n’est autre que Cofer Black, directeur jusqu’en 2002 du Centre antiterroriste de la CIA. En 2005, Robert Richer a quitté la même agence, dont il a été directeur des opérations pour le Proche-Orient, en 2005 pour rejoindre directement Blackwater. L’entreprise a tellement prospéré qu’elle dispose désormais d’une vingtaine d’avions, dont certains auraient servi à des transferts illégaux de présumés terroristes.

Comme l’indique Jeremy Scahill dans le titre de son livre enquête sur Blackwater, cette entreprise est en passe de devenir «la première armée privée au monde». Elle dispose d’une base de 28 km2 en Caroline du Nord. Une autre, en­core plus gigantesque, est en construction dans l’Illinois.

Source Libération

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